Man of Steel ou la question des origines
Cette énième mouture de Man of steel a ses mérites et ses défauts. Au premier rang de ses défauts, sa nécessité : le septième art a autant besoin d’une nouvelle version de Superman que d’un Rambo V, et l’exercice n’est intéressant qu’à proportion qu’il est périlleux. Superman est en effet un des plus vieux super-héros, qui a connu en bande dessinée une fortune incroyable, avec d’innombrables versions narratives et de brillantes variations (Supreme ou Invincible, par exemple), et produire un scénario intelligent est une gageure intenable.
Man of Steel, présenté comme la renaissance de Superman, reprend les bonnes vieilles recettes du reboot hollywoodien : on garde la figure mythique, on réinvente toute la narration, et on sème des petits cailloux iconiques le long du chemin. Autrement dit, tout le substrat est réinterprété et on garde, non pas les fondamentaux du récit, mais ses figures emblématiques : la planète Krypton, le costume, Lois Lane… Autant d’éléments familiers qui assurent une continuité et créent une connivence, même si le mythe est totalement refondu.
C’est d’ailleurs le deuxième défaut : si les idées qui ont présidé à cette renaissance sont pertinentes, amusantes, malignes, le scénario et son traitement privilégient l’action sur le fond (une action tonitruante, pyrotechnique et interminable), et gâchent ce qui aurait pu être une réflexion intime sur la conscience qu’a un super-héros de ses pouvoirs, de ses responsabilités, de son identité, bref sur la dimension christique du personnage. L’équilibre miraculeux de Star Wars : un nouvel espoir (1977) venait de son décor désertique, de la révélation progressive d’un monde étrange, de son banal et maladroit héros – et de tout ce qu’il y avait à venir. Sous une forme totalement différente, le premier Matrix (1999) mobilisait les mêmes ressorts du conte initiatique.
Là, l’équipe (troisième défaut : Nolan et Snyder se sont spécialisés dans le cinéma pompier recyclant avec grandiloquence la culture populaire) ne résiste pas au plaisir de nous dire immédiatement à quel point Kal-El est et sera exceptionnel, sur Krypton ou sur terre, et les épisodes de l’enfance et de l’adolescence prouvent que le garçon et ses parents d’adoption savent déjà à quel point il est différent, puissant et promis à un grand destin… Restent deux questions mineures : quand la vie cachée de Superman prendra-t-elle fin ? Et sera-t-il un prophète ou un ennemi pour son peuple américain ? Le suspense est faible. Alors, Man of Steel est-il bon à jeter ? Pas complètement.
Parce que la question des origines est centrale, intimement liée à une réflexion sur la bioéthique : Kal-El est le premier krytonien, depuis des siècles, à avoir été conçu naturellement, dans un monde converti à la procréation artificielle, à l’ingénierie génétique prédéterminant le rôle de chacun, et à l’impérialisme colonial. Toute ressemblance avec notre capitalisme international libéral, ses délires éthiques et ses fantasmes fonctionnels (y compris et surtout dans la volonté de thérapie permanente, fantasme ultime d’un contrôle social désiré par l’individu luttant pour être “adéquat”, en phase, efficace) doit être soulignée avec force, d’autant plus que la planète Krypton a d’évidentes tendances écologiques (biodesign très réussi des différents vaisseaux et équipements) – qui n’empêchent pas la catastrophe d’une surexploitation des ressources naturelles. Ce Superman américain, fier d’avoir été élevé au Kansas, porte donc un message de mesure, de respect de la vie et même d’écoute de la tradition. On a connu de pires délires prométhéens.